Bateau

Brève introduction à la Physique Quantique

3e partie: La Mécanique Quantique

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La meilleure façon d'aborder la Mécanique Quantique est de prendre un bateau.
En voguant, on regarde la rive s'éloigner et avec elle, les soucis et les mesquineries de la vie de tous les jours. On a tout loisir de contempler l'étendue entre ciel et eau, et de se divertir en observant les vagues.

Le comportement étrange des vagues

Le jeu des vagues offre un spectacle très varié.
Il y a le train de vagues solitaire, abandonné par un bateau; les ondulations régulières, qui envahissent la surface;

Vagues douces

les superpositions de vagues circulaires; les croisements rectilignes perpendiculaires...

Vagues douces

Il y a aussi les mouvements brusques, imprévisibles, quasi anarchiques.

Vagues déchaînées

Enfin il y a les affrontements contre les rochers ou l'agonie sur une plage...

Vagues déchaînées

Pour celui qui prend la peine de les observer, les vagues ont de quoi surprendre. Leur comportement les distingue des autres mouvements, comme ceux d'un jet de cailloux ou des gouttes de pluie. Citons trois curiosités, qui seront utiles pour comprendre la suite.

Superposition

1) Les vagues peuvent contourner les obstacles. C'est ce qu'on observe lorsque des vagues entrent dans un port: elles se reconstituent derrière les jetées.

2) Les vagues qui se rencontrent ne s'entrechoquent pas mais se superposent tranquillement. Puis elles se reforment et poursuivent leur chemin comme si rien ne s'était passé.

3) Lors de la superposition, on observe un réseau de lignes immobiles qui se croisent, et entre ces lignes des creux et des bosses qui alternent et oscillent. C'est le phénomène d'interférence, assez difficile à observer sur le lac, car trop furtif.

Contour des obstacles, superposition et interférence sont les propriétés non seulement des vagues mais de toutes les ondes, vibrations dans un solide, ondes sonores, lumière, etc... Elles distinguent les ondes des faisceaux de particules, qui les ignorent.

Sur ces propriétés s'est construite la Mécanique Quantique, théorie dont l'ambition est d'expliquer tous les phénomènes à l'échelle microscopique, en particulier:
100 - la structure des atomes, qui permet de comprendre les réactions chimiques,
100 - les propriétés des cristaux, leur forme, leur dureté, leur stabilité,
100 - le comportement des métaux et des alliages, leur élasticité, leur conductibilité,
100 - les phénomènes du grand froid, la supraconductibilité, la superfluidité,
100 - les décompositions ou recombinaisons des particules sous-atomiques,
100 - etc...

En bateau

Comme la Physique des Quanta, la Mécanique Quantique est aussi basée sur trois grandes idées.

La première idée fondamentale: l'hypothèse des ondes de matière

La première idée est également une hypothèse, formulée en 1924 par Louis de Broglie, qui s'énonce ainsi:

Hypothèse de de Broglie, 1924
A l'échelle microscopique les particules se comportent comme des ondes.

Louis de Broglie

De Broglie indique comment obtenir les caractéristiques (longueur d'onde, fréquence) de ces ondes curieuses, qu'on nomme ondes de matière. Ces caractéristiques dépendent beaucoup de la vitesse de la particule. Notons que cette hypothèse étrange n'est que le renversement de celle de Planck, revue par Einstein, qui affirme (voir la Physique des Quanta):

Hypothèse de Planck - Einstein, 1900 - 1905
A l'échelle microscopique la lumière (une onde) se comporte comme des particules (les photons).

Or prendre des particules pour des ondes n'est pas banal et peut légitimement paraître une idée farfelue. En effet, passons en revue les conséquences des trois propriétés des ondes données ci-dessus.

1) Les particules pourraient contourner des obstacles! ce qui entraîne qu'elles pourraient traverser un mur dont une porte est ouverte! Voilà qui est en flagrant délit de contradiction avec l'expérience quotidienne et qui pourrait faire naître un doute sur le sérieux de la physique si on ne précisait pas que ce n'est valable qu'à l'échelle atomique...

2) Les particules pourraient se superposer! S'approcher, se traverser, puis s'en aller tranquillement. On a jamais vu des boules de billard se comporter ainsi!

3) Les particules en se superposant donneraient des interférences! C'est encore plus choquant que les faits précédents, on ne voit même pas ce que cela pourrait dire!

Ces conséquences ont l'air bien invraisemblables, pourtant des expériences ont été lancées qui les ont confirmées. Les particules, à l'échelle atomique, se comportent bien comme des ondes. L'évidence expérimentale la plus convaincante est certainement l'existence du microscope électronique.

Rappelons que le microscope traditionnel fonctionne grâce aux propriétés des ondes lumineuses 1), 2), 3) énoncées ci-dessus. Il permet d'agrandir une image jusqu'à voir le millième de millimètre (taille des cellules). C'est l'ordre de grandeur de la longueur d'onde de la lumière, dans le domaine du visible. Le microscope électronique est basé sur les mêmes phénomènes, mais un faisceau d'électrons remplace la lumière. Les électrons se comportent donc comme la lumière! Ils satisfont donc aux propriétés 1), 2), 3) ! Les longueurs d'onde des électrons (selon la formule de de Broglie), dans le domaine optimal d'utilisation, atteint le centième du millième de millimètre, ce qui permet de voir les virus.

L'hypothèse de de Broglie est devenue une réalité aux multiples applications technologiques. Sa validité n'est donc plus contestée. Pourtant elle échoue face au principal problème des phénomènes microscopiques, celui de la structure des atomes.

La raison de ce blocage est simple: les ondes de de Broglie se propagent librement dans l'espace, comme les vagues au large ou la lumière dans le vide. Or les électrons d'un atome sont liés à lui et ne peuvent s'échapper, sauf accident. Pour les traiter, il faut reprendre le problème à sa racine.

Les vagues aussi se comportent autrement lorsqu'elles ne sont plus libres. En arrivant sur une plage, elles meurent simplement. Mais contre des rochers, elles réagissent comme des particules cette fois: elles rebondissent, avec une énergie un peu diminuée. Les vagues qui arrivent et celles qui repartent se superposent alors et on peut observer (avec un peu d'effort!) leurs interférences.

Vagues mourrant sur la plage

Un phénomène curieux peut se produire dans des cas particuliers: dans un bassin de taille parfaitement adaptée au réseau d'interférence, la vague résultante peut paraître arrêtée. Les creux et les bosses oscillent régulièrement, verticalement, sans se déplacer latéralement. Le phénomène d'interférence est alors permanent et bien visible. On dit qu'on a affaire à une onde stationnaire.

Or les ondes stationnaires sont très fréquentes dans la nature. L'exemple le plus courant est la corde de violon: sa vibration est bien une onde, qui oscille sur place, sans voyager. En fait, tous les instruments de musique, la voix y compris, utilisent des ondes stationnaires.

La deuxième idée fondamentale: l'équation de Schrödinger

Erwin Schrödinger

C'est au cours de l'hiver 1925 - 1926 qu'Erwin Schrödinger s'attaqua au problème de trouver les ondes stationnaires "à la de Broglie" décrivant les électrons d'un atome. Il était tenté d'interrompre sa carrière de chercheur en physique pour se consacrer exclusivement à la philosophie, lorsque l'université de Zurich insista pour qu'il anime un ultime séminaire sur la physique quantique.

L'éloignement que procure la philosophie l'a certainement aidé à aborder le sujet dans une optique plus vaste. Il commença par chercher à écrire explicitement ce que pourraient être de telles ondes, libres ou stationnaires. Il poursuivit en utilisant une méthode chère à Newton, qui consiste à élever le niveau d'abstraction.

Rappelons que Kepler avait donné la description complète du mouvement des planètes. A partir de quelques données (grand et petit axes de l'ellipse, position à un instant donné, sens de parcours) il était possible de déterminer la position d'une planète en tout instant. On aurait pu penser qu'il n'y avait rien à ajouter sur le sujet. Mais Isaac Newton ne s'en contenta pas. En élevant le niveau d'abstraction, il trouva l'équation générale qui regroupe tous les mouvements planétaires possibles. Son succès fut immense et donna naissance à la Mécanique Classique, théorie d'une telle portée et d'une telle généralité qu'elle est encore largement utilisée dans presque tous les domaines des sciences et des techniques.

Schrödinger écrivit donc l'équation générale des ondes de de Broglie, sous une forme qui mettait en évidence la formule de l'énergie. Or cette formule est la grandeur dans laquelle on distingue l'absence ou la présence de force extérieure. En remplaçant la formule de l'énergie d'une particule libre par celle d'une particule dans un potentiel électrique (celui du noyau) pour le cas de l'atome d'hydrogène, il trouva l'équation qui porte son nom.

Ensuite venait une étape des plus délicates, qui avait aussi donné du fil à retordre à Newton: résoudre l'équation obtenue, qui était d'un type mathématique nouveau. Sans cette résolution, la découverte ne pouvait pas être annoncée! Or cet effort en valu largement la peine. En résolvant son équation, écrite pour le cas de l'atome d'hydrogène, Schrödinger obtint un succès qui dépassait ses attentes. Son équation n'avait de solution que pour certaines valeurs de l'énergie – par bonheur exactement celles observées expérimentalement! De plus, et c'était là le plus grand succès, en classant les solutions possibles, il obtenait un tableau semblable à celui de Mendeleïev, la classification fondamentale de la Chimie! Cette discipline ouvrait enfin sa porte à la Physique!

Il faut mentionner ici que l'équation de Schrödinger a joué et joue encore un rôle considérable. Elle s'applique à n'importe quel système physique, tout en étant pertinente que dans le domaine microscopique (bien que récemment elle pourrait avoir trouvé une application en physique des vagues sur l'océan). Elle permet de traiter tous les atomes, les molécules, les cristaux, les métaux, les semi-conducteurs, et les interactions entre ces objets. Pour chaque système elle permet de déterminer les énergies en jeu et les états possibles.

En général, les calculs sont lourds et nécessitent de grosses ressources d'ordinateur. En poussant encore l'effort, on pourrait aussi en déduire les ondes de matières elles-mêmes. Mais, est-ce que cela en vaut la peine? Les ondes de matière, ont-elles un sens physique, ou ne sont-elles que des grandeurs auxiliaires, ne servant qu'à obtenir l'ensemble des énergies possibles?

La troisième idée fondamentale: l'onde donne la probabilité de présence

Max Born

C'est là qu'intervient la troisième grande idée qui sous-tend la Mécanique Quantique. Elle est due au physicien allemand Max Born et date aussi de 1926. L'onde de matière a effectivement un sens physique fort. Son carré (grandeur positive) donne la densité de présence de l'objet en question en chaque point de l'espace. En intégrant sur un volume quelconque on obtient la probabilité de trouver l'objet dans ce volume.

Promenades dans le Monde Quantique

Pour plus de détails, voir les Promenades dans le Monde Quantique. Ce livre présente pas à pas la découverte de la structure atomique parallèlement à l'équation de Schrödinger. La résolution de cette équation est donnée dans un cas simple, en utilisant uniquement des dessins, sans aucun calcul. On y trouve aussi des illustrations de ce qu'il faut comprendre par "probabilité de trouver l'électron dans un certain volume". La problématique fondamentale de la Physique Quantique y est discutée, dans un langage simple et imagé, à la portée de tous.

La Mécanique Quantique

Grâce aux trois idées mentionnées ci-dessus, une théorie physique très cohérente a été développée, la Mécanique Quantique. Ce fut un travail considérable, fruit de nombreux physiciens, dont beaucoup se verront couronnés du Prix Nobel (en particulier P. A. M. Dirac), et de mathématiciens de haut vol (en particulier John von Neumann). Donnons-en ici les grandes lignes.

Tout système physique microscopique, comme par exemple un atome ou un amas de molécules, dans un état donné, est représenté par une onde. Celle-ci peut être extrêmement compliquée, elle-même superposition d'autres ondes, comme l'est parfois la surface du lac.

vagues complexes

Mathématiquement une onde est une fonction de l'espace et du temps. De quelle type de fonctions s'agit-il? Comme fonction de l'espace, le choix est très libre. Ce n'est pas nécessairement une solution de l'équation de Schrödinger. Une seule condition est demandée, imposée par l'interprétation de Born. Celle-ci stipule que l'intégrale du carré de la fonction dans un certain volume donne la probabilité d'y trouver le système. Si on prend comme volume l'espace entier, la probabilité doit être de 100 %, et ceci en tout temps. C'est la seule contrainte à laquelle une fonction doit satisfaire pour prétendre représenter un état quantique.

Qu'en est-il de la dépendance temporelle de ces fonctions? Elle est en fait imposée par le choix de la formule de l'énergie. C'est cette dernière qui génère l'évolution temporelle en Mécanique Quantique. C'était aussi le cas en Physique Classique, mais ici la formulation est différente. C'est encore Schrödinger qui a trouvé cette formulation, en cherchant une solution compatible avec son équation. Nous avons vu qu'il s'était confronté au problème du rôle de l'énergie dans les ondes de matière et qu'il a trouvé une solution qui lui a permis d'établir son équation. Là encore il a généralisé sa découverte et obtenu la formule donnant l'évolution des états au cours du temps en Mécanique Quantique. (Cette formule est aussi appelée "équation de Schrödinger", ce qu'on évitera ici.)

Jusque-là nous avons décrit une théorie mathématique, mais quel est son rapport avec la réalité? C'est l'idée de Born qui donne la relation fondamentale entre les ondes de la Mécanique Quantique et les mesures réelles fournies par les expériences. Cette relation est essentiellement probabiliste. Or une interprétation probabiliste se propage dans une théorie comme un virus, elle se répand dans toute la Mécanique Quantique et affecte tous ses résultats. Ainsi les grandeurs physiques que sont l'énergie, la position, l'impulsion, la vitesse, le moment cinétique, etc... prennent pour chaque état des valeurs qu'on interprète comme les moyennes des données fournies par les expériences. De plus la théorie propose elle-même les formules pour calculer les écarts statistiques, c'est-à-dire l'importance des écarts d'avec les moyennes.

On a parlé d'une "onde décrivant un système physique dans un état donné". Que signifie ici le terme "état"? En physique on désigne par "état d'un système" les données qui le caractérisent en un instant, et qui suffisent, lorsqu'on connaît l'environnement, pour déterminer son évolution au cours du temps. En Mécanique Classique, pour un système de particules par exemple, l'état est la donnée des positions et des vitesses en un instant. La théorie se donne alors pour but de déterminer l'évolution de ces grandeurs au cours du temps.
En Mécanique Quantique l'état d'un système physique est décrit par une onde. Prenons pour simplifier le cas de l'atome d'hydrogène. Son onde peut être une des solutions de l'équation de Schrödinger. C'est un cas idéal, mais on doit aussi admettre d'autres plus complexes, formés de superposition de telles solutions (rappelons que les ondes ont la possibilité de se superposer). On doit aussi admettre les cas où l'électron a reçu tellement d'énergie qu'il peut quitter le noyau. Ce n'est plus une solution de l'équation de Schrödinger, puisque ce n'est plus une onde stationnaire. C'est alors une "onde progressive freinée", car l'influence du noyau se fait toujours sentir.
Prenons une fonction quelconque comme onde pour l'atome d'hydrogène (qui cependant satisfait à la condition de Born). On peut se demander de quel état il s'agit. Or un peu de mathématique permet de la décomposer et de la comprendre comme une superposition de solution de Schrödinger (états idéaux) et d'ondes progressives freinées. La théorie permet alors de calculer la probabilité d'obtenir chacun de ces états lors d'une mesure.

S'il existe des ondes qui ne sont pas solution de l'équation de Schrödinger, quelle rôle joue cette dernière? Rappelons qu'elle concerne des ondes particulières, les ondes stationnaires. Elles se caractérisent par une dépendance temporelle connue d'avance et indépendante de l'espace (puisque ces ondes ne voyagent pas). En cherchant une condition pour l'existence de telles fonctions on tombe sur l'équation... de Schrödinger! Elle ne joue donc plus un rôle structurel: elle devient un résultat du formalisme général de la Mécanique Quantique.

Quelques surprises quantiques

Le fait de considérer les particules comme des ondes, ainsi que l'interprétation probabiliste ci-dessus, devaient naturellement conduire à des surprises, pour ne pas dire des paradoxes. On se borne ici à en présenter deux, certainement les plus fameux.

Vagues entrant dans un port

La première caractéristique des ondes que nous avons évoquée est ce pouvoir de contourner les obstacles. On le voit bien lorsque des vagues entrant dans un port se reconstituent derrière la jetée. Puisque la Mécanique Quantique est une physique des ondes, elle admet que les particules peuvent traverser des obstacles. Elle permet même de calculer la probabilité pour que cela se réalise. Ce phénomène porte le nom d'Effet Tunnel. Il faut bien sûr que l'obstacle ait une ouverture quelque part. Ainsi nous pouvons traverser un mur à condition qu'il ait une porte ouverte. La théorie permet de calculer la probabilité pour que certains de nos atomes y parviennent. Ça ne vaut pas la peine d'essayer, cette probabilité est ridiculement petite et comme on ne sait pas quels atomes seraient choisis au passage, on risque de subir d'étranges amputations.

La formule des écarts statistiques apporte aussi sa surprise: certains produits d'écarts statistiques sont limités inférieurement. Cela signifie qu'on ne peut pas augmenter leur précision! C'est le cas, par exemple, des écarts statistiques de la position et de la vitesse: leur produit est toujours supérieur à une certaine valeur, pour tout système, pour tout état, en tout temps. Donc si on améliore la mesure de la position, on perd en précision automatiquement sur la vitesse! Et vice-versa! D'où l'impossibilité d'obtenir le détail d'un mouvement, ni même de trajectoire en Mécanique Quantique. Ce fait spectaculaire est connu sous le nom de Principe d'Incertitude, et fut énoncé par Werner Heisenberg en 1925.

Confrontation avec la réalité: une moisson de succès

La Mécanique Quantique a permis de pénétrer les mystères de la matière et de les étudier l'un après l'autre. C'est indéniablement là son plus grand succès. Des mondes comme la chimie, la cristallographie, la métallurgie, la biologie moléculaire, l'astrophysique et les phénomènes du grand froid, qui étaient inaccessibles à la Physique Classique, se sont ouverts à la recherche physique. D'immenses domaines d'études émergèrent subitement, qui sont loin d'être achevés maintenant.

La Mécanique Quantique est certainement la théorie de la physique la plus riche en résultats tant théoriques que pratiques. Nous n'allons pas tous les énumérer, ce qui serait interminable, mais en brosser les grandes lignes. Nous donnerons d'abord les principaux résultats au niveau théorique, c'est-à-dire ceux qui augmentent notre connaissance de la nature. Puis nous entamerons une liste d'applications pratiques.

Le succès théorique le plus important est certainement la découverte du rôle capital que joue la forme des atomes et des molécules dans les réactions chimiques. Ces formes peuvent être obtenues grâce à l'équation de Schrödinger et à l'interprétation de Born. En plus de la forme, la répartition des charges électriques à leur surface peut être calculée. Les réactions chimiques s'expliquent alors par des considérations de géométrie et d'électrostatique, sorte de jeu de lego subtil, dans lequel les molécules s'emboîtent ou s'accrochent. La Mécanique Quantique a donc permis de lever les secrets de la chimie l'un après l'autre. C'est d'abord le tableau de Mendeleïev et sa mystérieuse périodicité qui trouve une explication spectaculaire. C'est ensuite la foule des réactions chimiques connues qui deviennent limpides. C'est enfin de nouvelles réactions qui sont pressenties puis découvertes. Des logiciels puissants permettent de se faire des images en trois dimensions et de dessiner des molécules encore inconnues, qui pourraient effectuer des réactions désirées.

L'autre grand succès théorique concerne la représentation de la matière condensée. Les cristaux, les métaux et leurs alliages peuvent être décrits dans le cadre de la Mécanique Quantique. Pour limiter la complexité on établit des modèles, du plus simple au plus sophistiqué, dans lesquels des propriétés comme l'élasticité, la résistance aux chocs, les déformations sous la chaleur, la conductibilité thermique ou électrique, peuvent être calculés. En modifiant ces modèles il est possible de trouver comment améliorer ces propriétés par un changement de formule d'alliages ou l'introduction d'impuretés.

Bien d'autres succès théoriques sont imputables à la Mécanique Quantique, comme la compréhension du cours chaotique des mutations génétiques, qui se produisent par saccades irrégulières, ou comme l'explication des phénomènes étranges du grand froid, la supraconductibilité et la superfluidité.

En bateau

Les applications technologiques qui résultent de ces progrès théoriques sont innombrables. Nous en donnons quelques unes, classées par domaines.

Chimie: il est évident que la compréhension du rôle de la forme des molécules dans les réactions chimiques a permis un élan fantastique de cette discipline et de tous ses domaines d'application, comme la chimie industrielle (polymères, plastiques,...), l'électrochimie (développement de nouvelles piles, cellules de Grätzel), la biochimie (analyse des protéines et de leurs réactions), la génétique moléculaire, la pharmacie (recherche de nouveaux médicaments dont l'action chimique est pressentie d'avance).

Biologie: outre les progrès de la biochimie et de la biologie moléculaire déjà mentionnés il faut citer les résultats obtenus grâce au microscope électronique, qui est lui-même une conséquence de la Mécanique Quantique, et qui permet de voir les virus (des clichés montrent même des virus pénétrant une bactérie!).

Matériaux: la maîtrise des propriétés physiques des matériaux a ouvert la voie à la manipulation de la matière, jusqu'à obtenir l'effet voulu. On construit les alliages désirés, on ne les cherche plus à tâtons. Il en va de même pour l'introduction d'impuretés. On a ainsi trouvé théoriquement le comportement fabuleux des semi-conducteurs dopés, conduisant à la découverte du transistor.

Optique: l'un des plus importants sous-produits de la Physique Quantique est le rayonnement laser, qui a permis une foule d'applications, dans toutes sortes de domaine. Que l'on pense à la musique et au cinéma, propagés par les disques compacts!

Electronique: la découverte du transistor lui fit faire un bond en avant. Fini les grosses lampes qui s'allumaient lentement et qui chauffaient! Le transistor réagit immédiatement et permet la miniaturisation. On en compte des millions dans les puces qu'on trouve bientôt partout. On en compte un bon milliard dans les processeurs des ordinateurs. Ainsi l'informatique est-elle un sous-produit de la Mécanique Quantique. Je ne sais si Bill Gate, fondateur de Microsoft, ou Larry Ellison, patron d'Oracle, réalisent que leur fortune est due à la recherche fondamentale, et en particulier au travail humble et bénévole d'un certain Max Planck.

Energie: la Mécanique Quantique participe au vaste projet de maîtrise de l'environnement, en diminuant la consommation d'énergie (ampoules économiques, émettant la lumière par des décharges dans des gaz), ou en captant celle du soleil (cellules photovoltaïques, utilisant l'effet photoélectrique, qui couvriront bientôt tous nos toits pour nous inonder d'électricité gratuite). Curieusement, ce sont toutes deux des applications de la Physique des Quanta!

Médecine: outre les nouveaux médicaments, dus aux progrès de la chimie, et les nouvelles connaissances de physiologie, dues aux progrès de la biologie, la médecine doit à la Mécanique Quantique des outils dont elle ne pourrait plus se passer, comme l'imagerie par résonance magnétique, l'IRM, qui permet de "voir" les organes malades sans opérer.

Nanotechnologie: la connaissance des particularités de la nature à l'échelle atomique a permis une explosion de la technologie à la précision du nanomètre. Les outils pour y parvenir ont été créés. La découverte du rayon laser a permis de travailler à une précision inouïe. Grâce au microscope à effet tunnel on peut opérer atome par atome. Munis de tels instruments la nanotechnologie accumule les résultats et promet d'immenses développements futurs.

Cryptographie: dernier né des applications de la Physique Quantique, la cryptographie quantique utilise la destruction de l'onde quantique lors d'une mesure pour déceler l'interception éventuelle d'un message. Cette technique peut être encore raffinée en exploitant la propriété quantique de l'intrication (voir la 4e partie: Confrontation avec la Relativité).

Voilà l'incroyable aventure du modeste mémoire de Max Planck, présenté le 12 décembre 1900 à la Société des Sciences de Berlin. N'osant y croire, son auteur prétendait n'avoir trouvé qu'une astuce mathématique. Or sa formule a révolutionné le monde, et il n'y a pas un domaine qui n'en a pas été bouleversé. On n'a donné ci-dessus qu'un aperçu de ses applications. Parmi toutes celles qu'on a oublié de mentionner on peut rappeler que la formule de Planck est encore utilisée pour déterminer... la température des étoiles!

Les problèmes d'interprétation

Il faut souligner que le formalisme mathématique de la Mécanique Quantique est extrêmement performant. C'est un éblouissant chapitre de mathématique, qui réunit plusieurs disciplines (analyse fonctionnelle, algèbre linéaire, représentation des groupes), et qui est enseignée comme tel. C'est dans la relation entre les grandeurs calculées par la théorie et celles que donnent les expériences qu'il y a des difficultés, qui nécessitent des interprétations.

En bateau

Rappelons comment fonctionne la Mécanique Quantique. Chaque état d'un système physique est décrit par une onde. Celle-ci permet de déterminer la moyenne des grandeurs physiques de cet état. Lorsqu'on effectue une mesure, on obtient un résultat précis, en général différent de la moyenne calculée. Que devient l'onde alors? Elle perd tout son sens. On admet qu'elle s'estompe, ainsi que toute la construction quantique. Comment une telle transition brutale peut-elle se produire?

On peut raffiner la question. Après une première mesure on maintient le système puis on effectue une seconde mesure, sur une autre grandeur. Dans l'intervalle on a une onde perturbée: la première grandeur ayant été mesurée, sa valeur est définie. On est dans une situation mixte, mi classique, mi quantique.

Plusieurs mécanismes ont été imaginés pour expliquer ces bizarreries. Le plus ancien, et qui séduisait Einstein, consiste à supposer l'existence d'une grandeur physique inconnue, qu'on découvrira peut-être un jour, qui influence le système. C'est elle qui serait responsable des différentes valeurs mesurées pour un même état. Si on la connaissait on n'aurait plus besoin de statistique, et ce serait le grand retour à l'esprit de la Physique Classique (moyennant les hypothèses de Planck-Einstein et de de Broglie). Malheureusement une telle grandeur n'a aucune évidence expérimentale. De plus, c'est toujours un argument faible en physique, d'expliquer des phénomènes à l'aide d'objets inconnus.

Une autre idée consiste à admettre plus de généralité dans la définition des états. En physique on considère que l'état d'un système à un moment donné consiste en sa description complète en cet instant. Le but de la physique est alors de trouver comment il évolue dans le futur. Dans cette tentative d'expliquer la Mécanique Quantique on admet que l'évolution dépend encore des états antérieurs, ou, autrement dit, l'état n'est pas seulement les données de la situation actuelle, mais dépend aussi de l'histoire du système. Comme la Mécanique Quantique ne tient pas compte de cette dépendance, une information lui manque, d'où son recours à la statistique.

Citons encore ce qui est plutôt un changement de point de vue. En Physique Classique, une fois connu l'état d'un système et les forces qui agissent sur lui, les équations de Newton conduisent à une et une seule solution pour son évolution. La Mécanique Quantique peut être formulé de sorte qu'elle admette toutes les évolutions possibles et imaginables, la théorie donnant à chacune d'elle la probabilité d'être obtenue lors d'une mesure.

Il existe d'autres tentatives d'explication ou reformulation de la Mécanique Quantique. On doit aussi ajouter l'interprétation qui rejette toutes ces efforts, appelée l'Ecole de Copenhague car défendue par Niels Bohr. Selon cette école, la Mécanique Quantique nous étant imposée par les expériences, nous devons humblement l'admettre comme la meilleure théorie possible, et toute tentative de l'expliquer est un gaspillage d'efforts appliqués à de vaines questions. En définitive, nos raisonnements ont pour source des réactions chimiques dans notre cerveau, qui sont elles-mêmes des phénomènes quantiques. On ne peut donc pas s'en sortir.

Finalement, il faut admettre que la Mécanique Quantique étant toujours vérifiée expérimentalement (dans son domaine de validité, c'est-à-dire à l'échelle atomique et pour des vitesses très petites par rapport à celle de la lumière), la plupart des physiciens l'utilisent et l'appliquent sans se soucier des problèmes d'interprétation. N'est-ce pas merveilleux, d'avoir une théorie qui marche si bien?

Au revoir


La Mécanique Quantique ne se limite pas aux phénomènes présentés ici. De nombreux résultats lui sont redevables, dont l'exposé dépasse le cadre de cette introduction. Pour plus de détails, zappez sur Lectures, ou flânez sur Wikipedia, qui propose beaucoup de pages sur la Physique Quantique.


4e partie: Confrontation avec la Relativité